Par Robert Letendre, Nigel Martin, Yves Pétillon, Mario Renaud, Nicole St-Martin et Pierre Véronneau, membres du GREDIC*
À l’approche de la Semaine de la coopération internationale qui sera célébrée la semaine prochaine, nous souhaitons interpeler ici le gouvernement du Québec sur l’orientation de sa politique internationale.
En décembre dernier par la voix de la ministre des Relations internationales et de la Francophonie, madame Nadine Girault, le gouvernement du Québec annonçait sa vision internationale et, quelques jours plus tard, déposait à l’Assemblée nationale le Plan stratégique 2019-2023 du Ministère de Relations internationales et de la Francophonie (MRIF). Le gouvernement de monsieur Legault y confirmait son intention de donner une tournure résolument économique à son action internationale.
Est-ce une bonne idée ? Bien sûr ! La plupart des pays et des grandes régions du monde en font tout autant. Rechercher le développement économique et la création d’emploi à travers des initiatives internationales, rien de plus normal.
Cependant toute la question est de savoir, si cette approche se voudra exclusive, occultant de ce fait des aspects importants de la vie collective des Québécois. En tant qu’anciens directeurs généraux et dirigeants d’organismes de coopération internationale nous espérons que la solidarité internationale continuera d’occuper une place significative dans la politique internationale du Québec.
Et cela pour quatre raisons principales.
Premièrement, nous pensons que la solidarité internationale est profondément ancrée dans les valeurs québécoises. Plusieurs d’entre nous ont dans leur trame familiale une tante, un oncle ou un cousin qui ont passé leur vie à soulager la misère et qui ont souvent laissé leur santé dans ce qu’ils appelaient des pays de « mission ». À partir de la Révolution tranquille, ce mouvement se laïcise mais avec la même détermination et le même sens de l’engagement.
Deuxièmement, non seulement les Québécois et les Québécoises ont-ils agi de façon solidaire mais ils l’ont fait de façon exemplaire. Des ONG comme le CECI, OXFAM-Québec, SUCO, Equitas, Avocats sans frontières, le Bureau international du droit des enfants, excellent dans le domaine du développement international captant une part significative des fonds fédéraux dédiés à l’aide internationale. Plus remarquable encore, certaines d’entre elles ont un financement international plus important que celui provenant de sources canadiennes ce qui n’est pas peu dire.
Mais cela n’est que la pointe de l’iceberg. Il faut également penser à tout ce qui a été réalisé par des universités, des maisons d’enseignement et des centres de recherche; ou encore par des ONG créées par des syndicats tel le CISO ou encore par mouvement coopératif qu’il s’agisse de Développement International Desjardins, de la SOCODEVI ou encore de l’UPA-DI. Enfin, par des entreprises privées qui disposent d’expertises aussi pointues que précieuses. Nous pensons à une firme comme Étude Économique Conseil de Wesmount peu connue ici mais constamment citée par la Banque Mondiale. Le Québec rayonne à l’étranger grâce à l’expertise de ces institutions québécoises, et notre gouvernement aurait tort de l’ignorer.
Troisièmement, ce qui est vrai de la société québécoise est également vrai, pour l’Administration publique québécoise. Au fil des ans avec des moyens financiers très modestes, le MRIF a développé des programmes de solidarité internationale extrêmement performants tels Québec sans Frontières ouvert aux jeunes, ou encore le Programme québécois de développement international. De son coté, Environnement Québec était en 2019, le lauréat des prix de l’Action climatique des Nations Unies pour son Programme de coopération climatique internationale. Enfin, on ne compte plus les contributions significatives faites par l’École nationale d’administration publique du Québec (ENAP) à l’amélioration de la gouvernance de plusieurs pays en développement. Le gouvernement du Québec ne doit pas ignorer ses propres réalisations et la force dont l’a investi la doctrine Gérin-Lajoie qui l’invite à s’exprimer à l’étranger dans les domaines dont il est complètement ou partiellement responsable.
Quatrièmement et enfin, on comprendra à ce qui précède que les activités de développement international ont elles aussi une dimension économique et qu’elles créent de nombreux emplois. Une étude de l’organisme Concertation Montréal datant de février 2017, l’avait démontré avec éloquence soulignant l’existence d’une véritable « grappe » de la solidarité internationale dans la région métropolitaine.
Dans ces conditions, nous ne pouvons qu’espérer que le gouvernement du Québec, tout en priorisant l’économie, continuera à représenter le Québec à l’étranger dans toutes ses dimensions et qu’il ne succombera pas à la tentation de s’en remettre uniquement à la vision affairiste et trop souvent inefficace d’Investissement Québec.
* Le Groupe de réflexion sur le développement international et la coopération (GREDIC), est formé d'anciens dirigeants d'ONG de coopération et d'anciens cadres de l'ACDI. Il est affilié à l'Observatoire canadien sur les crises et l'action humanitaire (OCCAH) de l'UQAM.