Elles ont été forcées de fuir leur pays. Par centaines de milliers, elles ont été poussées sur les chemins de l’exil. Dans la région des Grands Lacs africains, en proie à des crises politiques et sécuritaires récurrentes, les déplacements massifs de population entretiennent la précarité des filles et des femmes depuis de longues années. Dans ce contexte d'instabilité et d’insécurité, l’accès à l’éducation est limité et les contraintes rencontrées par les filles pour poursuivre leur parcours scolaire sont souvent importantes.
Depuis quelques mois, au Burundi, en République démocratique du Congo et au Rwanda, le consortium formé par le Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) et la Fondation Paul Gérin-Lajoie (la Fondation) met en œuvre un projet qui vise à promouvoir un environnement favorable à la scolarisation des filles et des femmes victimes de conflits, notamment pour les réfugiées, déplacées, retournées et personnes handicapées.
Le projet d’Éducation des filles pour un avenir meilleur dans la région des Grands Lacs africains (ÉDUFAM) entend faciliter l’accès des filles à une éducation inclusive, favoriser un enseignement de qualité dans des milieux scolaires sécuritaires et égalitaires, et renforcer le leadership féminin afin que les femmes et les filles puissent défendre leurs droits et accroître leur pouvoir décisionnel. Ultimement, c’est l’autonomisation accrue de ces filles et femmes victimes de conflits que vise le projet.
« Ces femmes ont été exclues de l’avoir, du pouvoir et du savoir. Comment peuvent-elles dans ces conditions espérer évoluer? questionne Nicole Nyangolo, la coordonnatrice régionale du projet ÉDUFAM à la Concertation des collectifs des associations féminines de la région des Grands Lacs (COCAFEM/GL), partenaire du CECI. L’éducation, c’est l’ensemble des moyens dont on dote les filles et les femmes pour leur permettre d’atteindre les sphères qui autrement leur seraient interdites, c’est la base de tout, et c’est pour cela qu’ÉDUFAM est un projet d’espoir ».
Ce projet est mis en œuvre dans les zones où se concentrent les populations issues des déplacements forcés. Il cible 24 écoles primaires et secondaires où seront scolarisées, durant les quatre années du projet, plus de 22 000 filles de 5 à 18 ans. Environ 3300 filles et adolescentes parmi les plus touchées ou vulnérables à l’abandon scolaire seront suivies individuellement par le projet avec l’engagement des communautés afin de s’assurer que les barrières et contraintes spécifiques qu’elles rencontrent soient réduites et qu’elles puissent poursuivre un parcours scolaire adéquat. En outre, plus d’un millier d’adolescentes et de femmes en situation de vulnérabilité bénéficieront de formations professionnelles ou d’appui au développement d’activités génératrices de revenus, et quelque 6000 femmes renforceront leur engagement pour l’éducation des filles.
« Ces violences constituent un obstacle majeur à la scolarisation des filles : le harcèlement, les mariages forcés, les grossesses non désirées sont autant de freins et de facteurs d’abandon » explique la coordonnatrice régionale de la COCAFEM/GL, qui souligne la nécessité de mener un plaidoyer pour la lutte contre ces violence auprès d’un maximum d’acteurs communautaires.
« Il faut dénoncer le langage et les attitudes sexistes auprès des autorités scolaires et celles des camps. Faire des enseignant-e-s des relais dans cette lutte. Créer ou redynamiser des clubs de mères et de pères pour en faire des alliés. Sensibiliser les filles à leurs droits et leur donner l’opportunité de prendre davantage la parole. Mettre en place des mécanismes d’alerte. Sans oublier d’impliquer les garçons et les hommes et mettre de l’avant une approche positive et responsable de la masculinité. Il nous faut avoir le plus d’appuis possible ».
Car au-delà des violences basées sur le genre, les obstacles contre lesquels lutter sont immenses déplore Nicole Nyangolo, qui cite « les pesanteurs culturelles et les normes sociales discriminatoires, la paupérisation des familles, le contexte politico-sécuritaire, et maintenant la donne sanitaire! ».
Afin qu’aucune fille ou adolescente ne soit entravée dans son parcours scolaire et afin faire de l’éducation une priorité d’aujourd’hui et de demain, le projet collabore étroitement avec les communautés où le projet est mis en œuvre. L’approche est intégrale : elle ne se centre pas uniquement sur la performance des écoles, mais considère toute la communauté comme un écosystème qui peut et doit s’engager pour soutenir la scolarisation des filles et des adolescentes. Ainsi, dans les communautés où des filles et adolescentes ont été identifiées comme vulnérables à l’abandon scolaire, des contrats sociaux seront établis avec la communauté afin de faire de l’éducation des filles et des adolescentes une priorité.
Pour ce faire, un dialogue sera engagé avec les personnes et entités influentes des communautés (leaders politiques et religieux, associations de parents, organisations de droits des femmes, clubs de mères et de pères, coopératives locales, etc.). Ces échanges permettent d’identifier les contraintes et les obstacles à l’éducation des filles et adolescentes, et les avantages liés à la réduction de ces contraintes pour la communauté dans son ensemble. Sur la base d’objectifs communs, la communauté s’engage par le biais d’un « contrat social » à faire respecter le principe de la scolarisation pour toutes. Il ne s’agit pas seulement de permettre l’accès des filles et adolescentes à l’école, mais que toute la communauté se sente investie d’une mission de scolarisation des filles pour contrer l’abandon précoce quelles que soient les raisons invoquées. Pour atteindre cet objectif, le projet accompagne la communauté dans la mise en place de mécanismes propres qui vont notamment aborder les questions de violences basées sur le genre.
L’irruption de la pandémie de COVID-19 a en effet fragilisé une situation déjà précaire, en augmentant les risques de décrochage scolaire liés à la hausse du nombre de grossesses non désirées, de mariages d’enfants et des cas de violences basées sur le genre lors des phases de confinement.
Si les partenaires locaux ont tout de même pu mener les enquêtes prévues auprès des populations ciblées, permettant de brosser un portrait plus précis des enjeux et des vulnérabilités, le nouveau contexte de pandémie a forcé l’adaptation du projet ÉDUFAM, et l’intégrer un plan d’action à court terme. Plusieurs mesures ont été mises en œuvre afin de répondre à l’impact de la crise sanitaire sur l’éducation des filles.
Au Rwanda, où les 5 écoles ciblées par le projet n’ont commencé à rouvrir progressivement qu’en novembre, après 8 mois d’interruption, le partenaire local du CECI a ainsi appuyé des initiatives visant à assurer la continuité de l’apprentissage.
« Nous avons travaillé à identifier les familles les plus affectées par la crise qui avaient des filles scolarisées en dernière année du secondaire, à la fois dans le camp de personnes réfugiées et déplacées et dans deux communautés avoisinantes, raconte l’une des intervenantes locales du projet. Plus de 270 radios ont été distribuées pour qu’elles puissent suivre de chez elles des cours préparés par le gouvernement et assurer la continuité scolaire ». Cela a également rendu possible le travail de prévention auprès de ces familles afin de permettre le retour des étudiant-e-s à l’école, plus particulièrement des filles et des adolescentes.
Par ailleurs, les organisations locales appuient la diffusion de l’information concernant les mesures de prévention face à la pandémie. « À l’issue d’une autre enquête menée auprès de plus de 3000 familles cette fois, nous avons cerné les ménages , qui sont les moins susceptibles d’être atteints par les messages de sensibilisation » relate l’une des intervenantes locales.
« Pour assurer la circulation des informations, les chefs de village et les relais communautaires se déplacent en ce moment dans les villages du camp et des alentours pour diffuser des messages enregistrés à l’aide d’une cinquantaine de mégaphones. Des spots radios ont été enregistrés, et des émissions sont prévues ces prochaines semaines. En plus de la prévention à la COVID, nous y aborderons d’autres sujets, comme l’importance du retour et du maintien des filles à l’école ».
Le message est important et mérite d’être souligné puisque selon les prévisions de l’UNESCO, à l’issue de la pandémie, plus de 11 millions de filles pourraient ne pas reprendre leur scolarité. Plus que jamais, les efforts menés pour soutenir leur droit à l’éducation, et leur permettre ainsi d’accéder à l’émancipation et l’autonomisation, doivent être soutenus.
Le projet d’Éducation des filles pour un avenir meilleur dans la région des Grands Lacs africains (ÉDUFAM) bénéficie de l’appui financier du gouvernement du Canada par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.
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