« Au cours du mois d’avril, une jeune femme s’est présentée à l’hôpital de Ouanaminthe avec une crise d’asthme, la population a voulu la lapider, car ses symptômes s’apparentaient à ceux du coronavirus. La police a dû intervenir pour qu’elle ait la vie sauve », rapporte Roseleine Pierre la coordonnatrice du Rassemblement des femmes engagées de Ouanaminthe (RFEO).
Les premiers cas liés à la pandémie du coronavirus ont été enregistrés au mois de mars dernier en Haïti et, selon les chiffres officiels, la maladie a depuis connu une lente progression dans le pays, avec 88 cas répertoriés en date du 4 mai 2020. Mais en l’absence de tests de dépistage suffisants, il est probable que ces données soient largement sous estimées, comme le reconnaît le ministère haïtien de la Santé publique.
Haïti avait initialement été épargné par cette pandémie, en partie à cause de la crise politique qui dissuade les touristes étranger-e-s de se rendre dans le pays. Mais le retour de travailleuses et travailleurs haïtiens fuyant la virulence de la COVID-19 en République dominicaine voisine fait maintenant planer un risque sanitaire considérable sur le Nord-Est et en particulier sur la ville frontalière d’Ouanaminthe.
Dès l’éclosion de l’épidémie, le président haïtien avait annoncé des mesures visant à limiter la propagation du virus dans le pays : couvre-feu de 20h à 5h, interdiction de tout rassemblement de plus de 10 personnes, fermetures des écoles et des usines, et suspension des vols internationaux.
Aucun confinement strict n’a cependant été imposé, car une grande partie de la population haïtienne dépend des revenus générés au cours de la journée pour subvenir à leurs besoins essentiels et à ceux de leur famille. De plus, l'interdiction de rassemblement est peu respectée, notamment dans les transports en commun qui demeurent bondés dans les grandes villes.
« Malgré les efforts du gouvernement haïtien, la population de Ouanaminthe n’est pas du tout sensibilisée au coronavirus. Certains croient que le virus est une invention du gouvernement pour attirer l’aide internationale. D’autres soutiennent que le coronavirus ne nous contaminera pas, nous les Haïtiens, vu la croyance populaire que nous sommes résistants aux microbes. J’estime que seulement une infime partie de la population a changé de comportement en adoptant les pratiques de protection recommandées telles que le port de masque et le lavage des mains », explique Roseleine.
Le besoin de sensibilisation aux gestes barrières est criant dans le pays et c’est pour cette raison que le projet Voix et leadership des femmes en Haïti (VLF - Haïti) a pris l’initiative d'accroître son soutien au RFEO et à cinq autres organisations de femmes du Nord-Est pour renforcer la sensibilisation des familles aux mesures de prévention contre la COVID-19.
Ces organisations partenaires ont des relations de proximité bien établies avec les communautés où elles travaillent et elles jouissent d’une grande crédibilité auprès des populations. Elles sont donc particulièrement bien positionnées pour diffuser des conseils sanitaires et susciter les changements de comportements nécessaires pour ralentir la progression du coronavirus.
« Les organisations de femmes du Nord-Est ont décidé de mettre leurs efforts en commun pour faire passer les messages de sensibilisation de l’État dans les zones où elles travaillent. Nous allons utiliser plusieurs moyens comme les émissions radiophoniques, les animations de quartier, et même du théâtre », renchérit Roseleine.
Le RFEO, dont Roseleine est la coordinatrice, est une organisation locale qui regroupe 80 membres. Elle vise à lutter contre les violences basées sur le genre et à accompagner les femmes victimes de ces violences, notamment en renforçant leur pouvoir économique. Une mission qui a pris un sens nouveau dans le contexte actuel lié à la COVID-19.
« Le ralentissement des activités économiques à Ouanaminthe a suscité une augmentation des tensions au sein des familles et provoque une montée des cas de violences conjugales. Les usines de fabrication de textiles ont temporairement fermé leurs portes et il n’y en a que trois qui ont repris avec des contrats de fabrication de masque de protection. Les marchés publics ne fonctionnent plus que trois fois par semaine. Le chômage rend les hommes frustrés et ils se défoulent sur leurs femmes, » explique Roseleine.
Au cours de l’année 2019, le RFEO avait reçu le soutien financier du projet VLF - Haïti pour mettre en place une base de données permettant d’enregistrer les cas de violence signalés dans la commune de Ouanaminthe et dans les autres villes du Nord-Est. Cet outil permet aujourd’hui de mesurer les répercussions indésirables des mesures préventives liées au COVID-19 sur la sécurité des femmes et les filles.
« Par le passé, sur une période d’un mois, on pouvait enregistrer 4 à 5 cas de violence, indique Roseleine, mais durant la période du 19 mars au 22 avril, on en a répertorié 13 à Ouanaminthe, dont un viol de mineure et 12 cas de violence conjugale. »
Depuis plusieurs semaines maintenant, le RFEO a réagi en intensifiant ses activités de sensibilisation contre les violences basées sur le genre et en collaborant avec d’autres organisations locales pour pouvoir offrir un soutien adéquat aux femmes et aux filles affectées, comme l’explique Roseleine : « Nous combinons les messages de prévention contre la COVID-19 avec la sensibilisation pour la prévention de la violence. Pour les cas déjà enregistrés, les organisations de femmes vont travailler ensemble selon leur domaine d’expertise. RFEO offre seulement les services d’accueil, d’écoute et de référencement. Nous avons déjà créé des alliances avec d’autres organisations de femmes du Nord-Est pour le support psychologique, médical, l’appui juridique et l’hébergement temporaire, quand c’est nécessaire. »
Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, le projet VLF - Haïti appuiera 13 organisations de femmes afin de faire la promotion des gestes barrières préconisées par l’État haïtien pour lutter contre la COVID-19, tout en poursuivant le travail indispensable de sensibilisation aux violences basées sur le genre. L’équipe du projet VLF - Haïti restera également attentive à l’évolution de la situation pour adapter de nouveau sa programmation si cela s’avérait nécessaire.
Faites un don aujourd’hui à notre Fonds d’urgence - COVID-19, pour soutenir les efforts déployés par nos partenaires dans le monde entier.
Le projet VLF - Haïti appuie les organisations et les réseaux communautaires de femmes qui œuvrent à la promotion des droits et au renforcement du pouvoir des femmes et à l’égalité des genres en Haïti. Il bénéficie de l’appui financier du gouvernement du Canada, par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.