Avec application, Hilda Garcia finit de disposer ses tablettes de chocolat sur le présentoir vitré du stand d’Uniterra alors que le Salon International de l’Alimentation de Montréal (SIAL) ouvre ses portes au grand public. Joliment décorées de motifs aux couleurs vives représentant des éléments de la culture et de la nature péruviennes, les tablettes de chocolat «Elizza» attirent l’œil des visiteurs, et les saveurs présentées suscitent immanquablement la curiosité - citronnelle, cannelle, mandarine, chili-citron… Le chaleureux sourire d’Hilda fait le reste : les visiteurs s’arrêtent, la conversation s’engage.
En espagnol, la Péruvienne de 46 ans les guide dans la découverte de ses produits. Au-delà de la variété des saveurs, elle insiste sur la provenance unique de ses chocolats biologiques : le cacao est cultivé à San Martin, la région dont elle est originaire, et la majorité des grains utilisés provient de Pucacaca, le village qui l’a vu naître.
«Une partie du cacao que j’utilise est issue de la parcelle familiale sur laquelle je travaillais avec mes grands-parents alors que je n’avais pas encore 10 ans» confie la fondatrice des «Chocolates San Martin». Elle revient volontiers sur ses origines modestes, et ces après-midis passés après l’école auprès de ses grands-parents qui, comme tous les petits cultivateurs de la région, possédaient des cacaoyers. « J’adorais les aider à récolter le cacao. Je voulais tout apprendre, mais jamais je n’ai pensé travailler dans le chocolat plus tard car je n’avais tout simplement pas l’idée qu’il existait quelque chose au-delà du cacao. C’était un produit de base de notre alimentation quotidienne, on le mélangeait avec le maïs, c’est tout! ».
La région de San Martin, située dans le nord du Pérou et couverte en grande partie par la forêt amazonienne, est alors loin d’être la zone productrice de cacao qu’elle est aujourd’hui. Dans les années 70 et 80, la feuille de coca y est reine et la région vit au rythme du terrorisme, des règlements de compte entre les cartels de la drogue et de la guérilla.
Hilda Garcia a 17 ans lorsqu’elle rencontre celui qui deviendra son mari trois ans plus tard et qu’elle suivra dans la ville voisine de Tarapoto, abandonnant ses études et la parcelle familiale de cacaoyers, aujourd’hui propriété de ses oncles. De sa voix douce, la Péruvienne évoque pudiquement les années difficiles qui suivent alors: la naissance rapprochée de ses deux enfants, la dépendance envers son mari dans un environnement machiste et violent. « Je n’avais pas d’espace pour sortir, grandir, m’accomplir » murmure Hilda, le regard voilé.
En 2010, lorsqu’elle entend parler d’un concours organisé par l’ONG américaine Technoserve pour promouvoir l’autonomisation économique des femmes de sa région, Hilda n’hésite pas un instant. «Idea tu empresa» se propose d’accompagner les femmes désireuses de se lancer dans les secteurs du cacao et du café. Portée par ses souvenirs d’enfance, Hilda opte pour le chocolat et soumet un projet, qui sera refusé. Elle ne se décourage pas et, toujours sans le soutien de son mari, retente sa chance l’année suivante. Ce sera la bonne.
Pendant de longs mois, elle alterne, lors de cours du soir, formations théoriques et apprentissages pratiques. Très vite, elle vend sa moto et quelques effets personnels pour acheter de quoi se lancer dans l’aventure. «J’ai commencé à travailler avec du chocolat de couverture se souvient Hilda. La nuit, dans ma cuisine, je fabriquais des bonbons chocolatés, que je vendais sur le marché le lendemain, avant de me rendre à mes cours du soir. J’en faisais une centaine chaque nuit. Les clients aimaient, me demandaient de nouvelles saveurs. J’ai peu à peu pris confiance en moi».
Hilda décide alors d’acheter directement le grain de cacao et de le faire transformer par une entreprise. Les ventes augmentent, et en 2013, elle investit dans l’achat de quelques machines qui lui permettent d’accroitre sa productivité et de diversifier son offre. «On produit aujourd’hui 700 plaquettes par mois affirme fièrement Hilda qui dirige désormais 4 employées. Mais c’est encore artisanal. Par exemple, je n’ai pas de machine pour griller les grains de cacao. Je le fais chez moi, avec une poêle, 10 kilos à la fois» raconte-t-elle avec un grand sourire.
Cela n’empêche pas Hilda de regarder l’avenir avec ambition. Et aussi, confie-t-elle à la fin de la mission commerciale d’Uniterra, avec une assurance renouvelée. «J’ai établi quelques contacts avec des acheteurs potentiels lors du SIAL rapporte la Péruvienne, qui rêve de lancer ses tablettes de chocolats sur le marché international. Peut-être que l’un d’eux se concrétisera par un contrat?».
En attendant, la chocolatière entend se consacrer à l’ouverture de son premier magasin de chocolat à Tarapoto, un projet qui pourrait voir le jour plus tôt que prévu grâce à la formation suivie à l’Académie du Chocolat de Montréal avec le chef belge Philippe Vancayseele. «J’y ai approfondi de manière incroyable mes connaissances techniques, notamment en ce qui a trait à la décoration et la peinture à la main des chocolats relate Hilda, enthousiaste. Avant de venir, j’avais trouvé un local à louer et commencé à acheter des moules pour fabriquer mes chocolats, mais il me manquait la théorie! Maintenant, je suis prête!».
Pour appuyer le développement de ses affaires au niveau national, Hilda peut compter sur l’aide de ses enfants, tous deux étudiants en commerce … mais aussi sur celle de son mari désormais prêt à délaisser son entreprise de viandes fumées pour embrasser le domaine du chocolat! «Lui qui n’a jamais cru en moi ! Il est maintenant plein d’admiration pour mon parcours! C’est incroyable, n’est-ce pas?».
Avec une dizaine de femmes œuvrant dans le secteur du cacao, Hilda a créé une association qui veut faire de Tarapoto un centre de référence pour le chocolat péruvien. Surtout, par ce biais, elle souhaite inciter d’autres femmes, toutes générations confondues, à prendre en main leurs destinées et à s’émanciper dans une société qui demeure profondément machiste. « Mon indépendance, j’ai dû la gagner, jour après jour rappelle Hilda, avec une émotion contenue à grand peine. Après quelques instants de silence, elle ajoute fièrement: « C’est là ma plus belle réussite».
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Du 9 au 22 avril 2016, le CECI et l’EUMC ont accueilli 8 partenaires originaires du Pérou, de Bolivie et du Guatemala travaillant dans les secteurs du cacao, du café et du quinoa. Cette mission au Canada a été organisée pour les aider à établir de nouvelles relations d'affaires, identifier des clients canadiens potentiels, en apprendre davantage sur les tendances du marché canadien et leur a permis de suivre une formation avec des experts chocolatiers pour améliorer la qualité de leurs produits. Nous avons également encouragé le partage des connaissances avec des experts canadiens sur les coopératives, permettant ainsi à la délégation d’Amérique latine d’apprendre de ces modèles.
Uniterra est l’un des plus importants programmes de coopération volontaire et de développement au Canada. Il est mis en œuvre conjointement par le CECI et l’EUMC. Le programme Uniterra est réalisé grâce à la contribution des Canadiennes et des Canadiens et il bénéficie de l’appui financier du gouvernement du Canada, par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.
Texte: Carole Duffréchou | Photos: CECI