Texte d'opinion signé par Mario Renaud, Robert Letendre, Nigel Martin, Yves Pétillon, Nicole St-Martin et Pierre Véronneau, membres du GREDIC*
La version originale de cet article a été publié dans La Presse, le 13 mai 2020.
Selon les dernières données disponibles auprès de l’Organisation des Nations unies (ONU), 2,2 milliards de personnes sur la planète n’avaient pas accès à une source d’eau potable sécuritaire en 2019, dont 785 millions de personnes qui n’avaient aucun accès à de l’eau potable. Plus particulièrement en Afrique subsaharienne, seulement 15 % des populations auraient accès à de l’eau et du savon pour se laver les mains.
Dans la majorité des pays, la responsabilité de l’approvisionnement en eau revient aux femmes et aux filles, en plus de la préparation des repas. Ces responsabilités et le temps qu’elles y consacrent peuvent souvent les empêcher de fréquenter l’école ou de s’adonner à des activités productrices pour accroître leurs revenus.
L’accès à une source d’eau potable est rendu encore plus difficile vu le manque d’accès à des infrastructures d’assainissement sécuritaires, en clair des toilettes et des latrines. Selon le même rapport de l’ONU, deux milliards de personnes n’ont pas accès à des installations sanitaires de base, dont 673 millions qui sont obligées de satisfaire leurs besoins à l’air libre. Imaginez les problèmes de santé qui peuvent en résulter : en particulier, la diarrhée cause près de 1,5 million de décès par année chez les enfants, majoritairement ceux de moins de 5 ans. Est-ce vraiment le monde dans lequel nous voulons vivre ?
Le Canada est très bien servi en termes d’accès à des services d’eau et d’assainissement sécuritaires. Nous possédons parmi les plus grandes réserves d’eau potable sur la planète, et nos infrastructures d’eau et d’assainissement sont de qualité. Toutefois, la situation chez les Premières Nations reste problématique. En 2018, il y avait encore 174 avis affectant la qualité de l’eau dans plus de 100 communautés des Premières Nations. Le gouvernement du Canada a pris l’engagement de régler ces situations d’ici 2021.
En 2018, le Canada venait au neuvième rang des contributeurs d’aide publique au développement (APD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) avec un montant de 4,7 milliards de dollars US, ne représentant toutefois que 0,28 % du PIB national (15e rang de l’OCDE). Avec la mise en place en 2016 de la politique féministe d’aide internationale, 95 % de l’aide canadienne doit cibler et intégrer l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes et des filles, et 50 % de l’aide de pays à pays doit être dirigée vers l’Afrique subsaharienne. La santé est le domaine prioritaire d’action de l’aide canadienne, en particulier la santé des femmes et des filles.
Toutefois, selon les données disponibles, le Canada n’avait consacré en 2018 que 1, 316 milliard de dollars d’aide dans le secteur des infrastructures et services sociaux, dont seulement 10,7 millions pour des infrastructures d’eau et d’assainissement.
Il serait grand temps que le Canada réinvestisse massivement dans ce domaine d’activité crucial pour la santé des familles les plus démunies de la planète, et particulièrement en Afrique. La pandémie n’a pas encore frappé durement l’Afrique avec 47 118 cas et 1843 décès enregistrés (au 5 mai, selon l’Africa Center for Disease Control), une augmentation de 45 % depuis le dernier rapport hebdomadaire, mais il est possible que le nombre de cas et de décès soit bien plus élevé. En regard du manque d’accès aux services d’eau et d’assainissement sécuritaires, on peut imaginer la difficulté à laquelle les Africaines feront face pour se protéger de la COVID-19.
Est-ce qu’on peut se laver les mains de la crise qui s’annonce en Afrique ?
* Le Groupe de réflexion sur le développement international et la coopération (GREDIC) est formé d'anciens dirigeants d'ONG de coopération et d'anciens cadres de l'ACDI et il est affilié à l'Observatoire canadien sur les crises et l'action humanitaire (OCCAH) de l'UQAM.